Respecter, c’est porter de la considération à une personne, un être vivant, un élément naturel voire un objet. Ce sentiment émane généralement de la valeur que l’on lui donne et nous porte généralement à traiter cet élément avec des égards particuliers.
Quelle place doit donner le croyant à la nature ? Et quelle considération doit-il lui apporter ? Enfin, est ce que chaque élément de l’univers se trouve à un même niveau de respect ou existe-t-il une hiérarchie ? Et l’Homme serait-il alors au sommet ?
Tout appartient à Dieu
Le Coran va nous apporter un concept fondamental qui va donner un cadre clair à l’humain puisse afin qu’il connaisse sa place dans l’univers.
« A Lui appartient tout ce qui est dans les cieux et sur la terre »1
« A Allah appartient tout ce qui est dans les cieux et en terre. Allah est Celui qui se suffit à Lui-même, Il est Le Digne de louange. »2
Et pour répondre à ceux qui pensent que d’autres que Dieu pourraient prétendre à une partie de la création, Dieu répond que :
« …Ils ne possèdent même pas un atome, ni dans les cieux ni sur la terre et ils n’ont jamais été associés à la création… »3
A partir de là, la relation que l’Homme doit avoir avec la nature est posée. Rien ne lui appartient et donc il ne peut pas accéder à cette nature sans l’autorisation de son propriétaire. Et s’il peut jouir de cette nature, ce sera uniquement de la façon que Dieu aura décrétée.
Deux notions fondamentales sont tirées de ce principe :
La première est liée au droit : si la nature n’est pas à nous, il va falloir s’interroger sur ce qu’on peut y faire ou non. Et de ce questionnement va découler des lois qui le musulman devra appliquer s’il veut rester fidèle à ses principes. Est-ce que je peux couper cette forêt pour construire tel ou tel équipement ? Est-ce que je peux fabriquer du plastique, sachant que je ne sais pas le recycler ? Est-ce que je peux pécher avec d’énormes filets qui raclent les fonds marins en détruisant la vie sauvage ? Est-ce que je peux mettre des produits chimiques dans ma terre connaissant les dégâts qu’ils peuvent provoquer ? … Le croyant se trouve sur Terre comme un invités ou un locataire qui doit demander la permission avant d’agir.
La seconde notion et est de l’ordre de nos intentions. C’est la réponse au « pourquoi je respecte la nature ? »
En préambule, j’aimerai rappeler la vision qui est courante aujourd’hui sur ce sujet. Tout d’abord, le terme de nature est peu utilisé. On lui préfère le terme « d’environnement ». Chaque radio ou chaine de télé a son émission sur l’environnement, on parle d’atteinte à l’environnement, de cause environnementale, de protection de l’environnement, …
Pour définir ce terme, on pourrait dire que l’environnement est tout ce qui entoure l’homme et ses activités : Pour préciser, ce sont toutes les conditions physiques, chimiques et biologiques qui permettent à l’Homme de subvenir à ses besoins.
Et cet environnement va nous apporter une multitude de bienfaits : nourriture, abris, outils, énergie, fibres, teintures, gomme, résines, caoutchouc, plantes médicinales, calme, méditation, silence, …
Nous voyons que le terme utilisé d’environnement fait référence aux besoins de l’Homme. Préserver l’environnement finalement signifie de prendre soin de toutes ces ressources qui nous entourent pour assurer notre propre survie.
Vous connaissez tous cette phrase attribuée à Saint Exupéry et très souvent utilisée pour illustrer cet engagement que nous aimerions avoir pour préserver notre environnement :
« Nous n’héritons pas de la terre de nos parents, nous l’empruntons à nos enfants. »
Même si l’idée générale est positive puisqu’il s’agit de préserver la nature, cette formulation laisse entendre que si nous ne préservons pas l’environnement aujourd’hui, nos enfants n’auront plus accès à toutes ces ressources.
Est-ce que cela voudrait dire que nous protégeons les forêts, les rivières, la faune, la flore, … uniquement pour les besoins de nos enfants ? La nature ne mérite-t-elle pas d’être respectée pour elle-même ? Pour ce qu’elle est ?
Aujourd’hui, quand nous parlons de protéger notre environnement, nous le faisons souvent avec une vision très centrée sur nous-même et sur nos besoins.
C’est-à-dire que notre relation à tous ces éléments qui nous entoure et assure notre subsistance est finalement lié au besoin que nous en avons. Et c’est pour cela peut être que l’on préfère le terme « environnement » centrée sur l’Homme au terme de « nature ».
Cet anthropomorphisme n’est pas nouveau. Cette citation de Descartes sur la technique montre combien ce rapport à la nature est vue selon un point de vue strictement utilitariste :
« … connaissant la force et les actions du feu, de l’eau, de l’air, des astres, des cieux et de tous les autres corps qui nous environnent, aussi distinctement que nous connaissons les divers métiers de nos artisans, nous les pourrions employer en même façon à tous les usages auxquels ils sont propres et ainsi nous rendre comme maîtres et possesseurs de la nature…. »
L’Homme pense être le maitre de la nature, pouvoir l’utiliser comme il le souhaite. Mais comme la nature ne peut pas supporter l’appétit sans limite de l’Homme, elle va finir par ne plus pouvoir nous nourrir. Alors l’Homme va se lancer dans la protection de cette dernière, mais non pas car il aime la nature et la respecte, mais parce qu’il a besoin d’elle et pense qu’elle lui appartient.
Le droit européen et en particulier français ne prévoit d’ailleurs pas beaucoup de place à la nature puisqu’elle est reléguée au rang de chose, comme le mobilier. Il a bien été reconnu récemment la notion d’être sensible aux animaux, mais ils restent malgré tout confiner dans les choses.
Or le Coran à travers les versets cités précédemment nous oriente vers une position différente : nous ne respectons pas la nature car elle nous est indispensable, car elle nous nourrit où nous procure un habitat. Nous la respectons car elle n’est pas à nous et que nous n’avons tout simplement pas le droit de l’utiliser comme nous le souhaitons. Nous aimons la nature car nous aimons le maître et possesseur de cette nature. Nous respectons cette nature par crainte de désobéir à Dieu en provoquant des dégradations à quelque chose qui ne nous appartient pas.
Et c’est également pour cette raison que le terme de nature a été choisi dans le titre de ce livre, plutôt que le mot environnement. Avec cette idée que la nature qui ne nous appartient pas et doit être respecté pour elle-même.
Ces versets du Coran vont complétement orienter notre manière d’agir sur Terre. L’Homme est un invité et il va devoir se comporter comme tel.
L’univers tout entier à une conscience
Aujourd’hui, nous pouvons dire qu’à part quelques exceptions (nos animaux de compagnie et nos plantes vertes), nous n’apportons pas de considération aux éléments de la nature. Il suffit pour s’en convaincre de voir les conditions ignobles dans lesquelles les animaux de fermes sont élevés.
Or en tant que croyant, nous avons cette certitude que tout appartient à Dieu et donc nous devrions de manière logique apporter beaucoup de respect à tous les éléments de la création.
Mais nous avions posé la question en début de chapitre sur l’existence éventuelle d’une hiérarchie entre les différents éléments de l’univers. Et c’est une question qui fait débat aujourd’hui au sein de la communauté scientifique. Est-ce que tous les éléments de la nature ont une conscience, ou peuvent souffrir ? Est-ce que nous devons accorder des droits à chaque être vivants ou seulement à une catégorie d’entre eux ?
La pensée judéo-chrétienne a, au fil des siècles, instauré une classification entre les êtres avec bien-sûr l’homme au sommet, puis les animaux, puis les plantes, … Aristote avait entamé cette classification en indiquant que les plantes étaient là pour les animaux et les animaux pour les hommes, précisant que « dans la hiérarchie des êtres, ceux qui sont imparfaits sont créés pour les parfaits ». C’est inspiré de cette philosophie que le moyen-âge a petit à petit créé une rupture entre l’homme et la nature reléguant progressivement cette dernière au rang d’objet. Descartes affirmait en ce sens que :
« Les animaux ne sont que de simples machines, des automates. Ils ne ressentent ni plaisir, ni douleur, ni quoi que ce soit d’autre. Bien qu’ils puissent pousser des cris quand on les coupe avec un couteau, ou se contorsionner dans leurs efforts pour échapper au contact d’un fer chaud, cela ne signifie pas qu’ils ressentent de la douleur dans ces situations. Ils sont gouvernés par les mêmes principes qu’une horloge … »4
Il est bien sûr resté des voix s’opposant à cette vision du monde mais elles n’ont pu s’imposer. Plus récemment dans les années soixante, Lynn White a développé une thèse selon laquelle cette dualité matière-esprit introduite par le judéo-christianisme avait ouvert la porte au « désenchantement du monde » et au matérialisme. Cela serait la cause des catastrophes écologiques en cours. Et nous vivons depuis plus de 50 ans l’émergence de très nombreux mouvements écologiques souhaitant redonner à la nature sa place.
Où en est-on aujourd’hui ? Peter Singer, qui est un philosophe australien, va populariser la notion de spécisme qui est une discrimination fondée sur l’espèce. Il a écrit la libération animale, un livre qui a eu énormément d’influence et que le time a classé parmi les 100 meilleurs livres de ce siècle. Son idée est d’affirmer que d’autres espèces que la nôtre ont le droit d’avoir leurs intérêts pris en compte. Dès lors ces autres espèces pourraient être protégées et défendues en cas d’injustice. Il précise qu’il ne s’agit pas de respecter de manière égale toutes les espèces mais plutôt d’ajuster notre morale en considérant la souffrance de chaque individu humain ou animal quel qu’il soit.
Cette idée a été reprise par de nombreux auteurs contemporains et le débat porte sur le fait de savoir si tous les animaux doivent être classés au même niveau. Frédéric Lenoir5 préconise d’établir une différence entre les espèces qui serait fondée sur des critères de sensibilité, d’intelligence et de conscience de soi. Cela voudrait dire que plus une espèce animale est sensible et consciente, plus elle exige d’être respectée.
Et comment estimer ce niveau de sensibilité ou de conscience ? Ces auteurs prennent l’être humain comme référence en partant de l’idée que plus les animaux ont une constitution proche de la nôtre, plus ils auraient une conscience d’eux-mêmes. Or ce raisonnement n’est pas prouvé aujourd’hui. Qui pourrait assurer qu’un ver de terre n’est pas conscient de ce qu’il fait, ou alors qu’il ne souffre pas ? Est-ce que le fait qu’il est moins de neurones que nous peut nous garantir qu’il n’a pas des fonctions sensorielles aussi développés que les nôtres ?
Il suffit pour s’en convaincre d’observer les végétaux ? Les récentes études ont mis en avant leurs formidables capacités à percevoir l’environnement, voire à faire preuve d’une forme de sentiments. Or les végétaux ont-ils un cerveau comme le nôtre ? Des organes des sens ressemblant à nos yeux ou à nos oreilles ? Rien de tout cela ! Et pourtant, ils peuvent voire, sentir, communiquer, … Et qui pourrait affirmer aujourd’hui que les végétaux ne souffrent pas ?
Et pour aller encore plus loin : pourquoi limiter ce raisonnement aux êtres vivants et exclure le monde minéral ? Pourquoi les rivières auraient-elles le droit d’être polluées, ou les déserts d’être jonchés de déchets ? Qui peut nous dire encore une fois aujourd’hui que ces éléments qui, à première vue, nous paraissent inanimés ne possèderaient pas eux aussi une conscience d’eux-mêmes et ne souffriraient donc pas ?
Le Coran a clairement tranché sur cette question en nous apprenant que toutes les créatures ont une conscience puisqu’elles invoquent Dieu. C’est donc qu’elles reconnaissent Dieu.
« N’as-tu pas vu que c’est devant Allah que se prosternent tous ceux qui sont dans les cieux et tous ceux qui sont sur la terre, le soleil, la lune, les étoiles, les montagnes, les arbres, les animaux, ainsi que beaucoup de gens ? »6
Les chercheurs tentent de percevoir la conscience animale en se basant sur la taille de leur cerveau, sur des expériences pour mesurer leur intelligence, ou sur leur comportement. Or Dieu nous renvoie encore une fois à la modestie dont nous devrions faire preuve face à la complexité de la création. Et Il nous aider à mieux comprendre cette question en nous indiquant qu’effectivement, toutes les créatures de l’univers ont une conscience et célèbrent Sa gloire. Mais simplement, nous ne pouvons pas comprendre sous quelle forme se fait cette célébration.
« Les sept cieux et la terre et ceux qui s’y trouvent, célèbrent Sa gloire. Et il n’existe rien qui ne célèbre Sa gloire et Ses louanges. Mais vous ne comprenez pas leur façon de Le glorifier. Certes c’est Lui qui est Indulgent et qui pardonne. » 7
Le Coran confirme également que toutes les créatures sont dotées de sentiment et peuvent souffrir. En évoquant la disparition de Pharaon sous les flots, le Coran nous précise que :
« ni le ciel, ni la terre ne pleurèrent … » 8
Nous avons également plusieurs exemples dans la vie du Prophète : On rapporte que « lorsque le Prophète faisait des sermons dans la mosquée, il montait sur la souche un tronc de palmier. Lorsque le minbar a été fabriqué et que le Prophète était dessus les présents ont entendu le tronc d’arbre faire un bruit comme le bruit d’une chamelle qui met bas jusqu’à ce que le Prophète vienne et mette sa main sur lui alors il se calma. »
Ce tronc d’arbre éprouvait une grande tristesse du fait que le Prophète ne vienne plus sur lui pour faire ses sermons, ce qui provoqua des marques d’émotions que Dieu permit aux gens d’entendre. La réaction du Prophète fut là aussi immédiate comme précédemment. Il descendit de sa chaire, se dirigea vers cette créature qui se plaignait et l’apaisa. »9
Un autre récit rapporte que « le Prophète entra dans le jardin d’un médinois et il y avait dedans un chameau. Lorsqu’il a vu le Prophète (que la prière d’Allah et Son salut soient sur lui) il s’est attristé et a pleuré. Le Prophète (que la prière d’Allah et Son salut soient sur lui) est descendu de sa monture, a frotté les larmes du chameau et l’a calmé puis a dit : « Qui est le propriétaire de ce chameau ? »
Un jeune médinois est venu et a dit : Moi ! Alors le Prophète a dit : « Ne vas-tu pas craindre Allah dans ces animaux qu’il a mis en ta possession ? Certes il s’est plaint de toi vers moi et prétend que tu l’affames et que tu lui fais porter des charges trop lourdes ». 10
Nous voyons bien à travers ces récits une nature qui souffre, qui peux ressentir la tristesse, voire pleurer. À partir de là, le Coran amène une vision beaucoup plus élargie dans ce débat sur l’antispécisme. Il ne s’agit pas uniquement de respecter des animaux qui nous paraissent de notre point de vue d’être humain avoir une conscience ou une aptitude à souffrir, mais de considérer l’ensemble des éléments qui nous entoure, qu’ils soient vivants, ou non.
En effet, pourquoi limiter notre respect aux animaux les plus proches de nous et ne pas l’étendre à l’ensemble des créatures vivantes ? Or c’est bien ce à quoi le Coran nous appelle. Il n’y a pas de hiérarchie entre les créatures. Tous les êtres peuplant la terre sont soumis à cette même règle de reconnaissance, de respect, et de justice.
Nous avions donné le postulat de départ qui est que tout sur la Terre appartient à Dieu et ce n’est pas à nous de prioriser ou de classer les éléments de la Terre en fonction de nos critères humains.
En conséquence, l’Homme se doit de respecter chaque élément de l’univers. Cela s’applique au monde des animaux, en partant des protozoaires jusqu’à nos animaux domestiques, mais aussi aux végétaux, aux champignons, aux micro-organismes, et également au monde minéral.
L’Homme au sommet de la création ?
Est-ce que du fait de son rôle de gérant de la Terre, peut-on considérer qu’il existe tout de même une hiérarchie qui placerait l’être humain au-dessus des autres ? Le Coran nous apprend qu’être responsable ne veut pas dire être supérieur.
« Nous avions proposé aux cieux, à la terre et aux montagnes la responsabilité. Ils ont refusé de la porter et en ont eu peur, alors que l’Homme a accepté de la porter… »11
Avant de proposer cette responsabilité à l’Homme, Dieu l’a proposé aux cieux, puis à la terre et enfin aux montagnes. Ces créatures sont donc tout aussi dignes que l’Homme, voire peut être plus puisqu’elles ont précédé l’Homme. Ce dernier ne peut donc être supérieur puisqu’il n’est pas le seul à avoir eu ce privilège. Au contraire, Dieu nous dit bien dans ce verset que c’est du fait de notre ignorance que nous avons accepté cette charge, car si nous savions ce que cela représentait, nous aurions sûrement suivi les cieux, la terre et les montagnes.
1 Coran, sourate 42, verset 4
2 Coran, sourate 31, verset 26
3 Coran, sourate 34, verset 22
4 René Descartes, Discours de la méthode, Vrin, 1987
5 Lettre ouverte aux animaux, Frédéric Lenoir
6 Coran, sourate 22 verset 18
7 Coran, sourate 17 verset 44
8 Coran, sourate 44 verset 29
9 Rapporté par Boukhari dans son Sahih n°3585
10 Rapporté par Ahmed et authentifié par Cheikh Ahmed Chakir dans le Mousnad de l’imam Ahmed vol 3 p 195
11 Coran, sourate 33, verset 72
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